Affronté à la souffrance, l’homme s’interroge sur l’origine de celle-ci et se tourne vers son créateur, en quête d’une réponse qui est loin d’être évidente. Il se demande alors s’il est seul à connaître la souffrance, surtout s’il admet être créé « à l’image de Dieu ». Si, dans ce « modèle » dont il est l’image, c'est-à-dire Dieu lui-même, l’homme considère la toute puissance, il répugne à l’idée que Dieu puisse souffrir. Si, par contre, il considère surtout l’amour, il ne voit pas comment Dieu, s’il est amour, puisse ne pas partager la souffrance de l’homme. D’où il résulte, chez l’homme, une propension à donner des réponses contradictoires concernant la « souffrance de Dieu ! ».
Sur ce sujet, les opinions divergent donc. Rien d’étonnant lorsqu’on voit déjà la difficulté de définir le sujet abordé. C’est cette définition que l’on va essayer d’approfondir à travers la réponse à deux questions :
De quel Dieu s’agit-il ?
Qu’est-ce que la souffrance ?
- DE QUEL DIEU S’AGIT-IL ?
Le Dieu dont il s’agit est très différent selon la « personnalité » qu’on lui reconnaît. Il nous faut donc, en premier lieu dire de laquelle il s’agit !
1) Pour certains, Dieu est pratiquement indéfinissable et se prête alors à toutes les suppositions. Ainsi, les religions polythéistes ont-elles présenté les divinités comme ayant, la plupart du temps, des personnalités reflétant, en fait, celles des humains, ni plus ni moins : mêmes désirs, mêmes sentiments et mêmes réactions, en particulier au niveau de la souffrance !
2) La personnalité de Dieu peut être, au contraire, présentée de façon simple, comme celle d’un être Tout-puissant, éternel, détenteur de certitude absolue. Un tel Dieu, en quelque sorte, est d’un seul bloc, comme « monolithique », ne comportant en lui-même qu’une « personne ». Telle est la conception de l’Islam.
S’il n’est pas lui-même un être « relationnel par nature », comment alors un tel Dieu pourrait-il être « la source de l’amour » ? En effet, l’amour suppose, par définition, une relation entre personnes distinctes. La relation de Dieu avec ses créatures comporterait alors, plutôt, éventuellement, de la pitié, de l’indulgence, de l’équité, mais pas de l’amour s’il n’y en a pas en lui-même.
L’Amour, en effet, dans ses deux composantes « don » et « accueil », suppose l’acceptation d’une « dépendance » par rapport à un « vis-à-vis », inimaginable dans le cadre de la « conception » de Dieu envisagée ci-dessus.
3) DIEU à la fois UN et en TROIS PERSONNES !
C’est le MYSTERE DE LA TRINITE, axe central de la Révélation chrétienne. Les trois personnes divines, distinctes, forment un seul Dieu. Cela entraîne, entre ces trois personnes divines, la possibilité d’une relation décrite comme un amour éternel, infini et donc source, par conséquent, de tout amour. Chacune des trois personnes de la Trinité se donne totalement aux deux autres et accueille d’elles un Amour entraînant un Bonheur parfait. Il existe en chacune des trois personnes divines une plénitude de relations d’amour qui rayonne en permanence l’amour créateur de Dieu Un et Trinitaire à la fois. Ce rayonnement d’Amour de Dieu offre à ses créatures angéliques et humaines de participer à cette communion d’amour entre les trois Personnes, Père, Fils et Esprit Saint et d’y vivre le Bonheur même de Dieu !
Cette offre de Dieu à l’homme se situe dans le cadre de la LIBERTE octroyée par Dieu aux hommes et aux anges d’accepter ou de refuser les conditions de cette offre de BONEUR, à savoir l’acceptation ou le refus d’une « dépendance d’Amour » !
Dieu nous crée libres et lui qui sait tout, qui est omniscient, accepte pourtant la possibilité du refus de son offre de la part des créatures. L’amour, en effet, suppose la liberté : jamais on ne pourra obliger quelqu’un à aimer ! Les anges et les hommes ont donc le choix, soit d’accueillir l’offre de Dieu et entrer dans l’amour, soit de la rejeter et refuser l’amour.
Mais Dieu n’accepte pas que soit détruit son Plan originel de Bonheur pour les hommes, qui passe par l’Amour. Aussi, il intègre dans ce Plan, dès le point de départ, « au commencement », avant tout commencement, l’incarnation de son Verbe dans la nature humaine. C’est le Mystère de l’INCARNATION et de la REDEMPTION , en vue du salut de l’Humanité, réalisé grâce au Christ qui, de ce fait, est à la fois vrai Dieu et vrai homme.
Le fait, pour le Christ, de posséder dans sa personne la nature humaine n’a nullement altéré sa nature divine. Cette double nature lui a permis de réconcilier les hommes avec Dieu, à travers sa passion, sa mort et sa résurrection. La souffrance qui a résulté de tout cela, le Christ l’a vécue dans sa nature humaine, laquelle est sans confusion avec sa nature divine (affirmation du Concile de Chalcédoine en 451). Jésus a vécu l’accomplissement de son sacrifice de REDEMPTION une fois pour toutes.
Par contre, lors de la dernière Cène, le Christ a fait l’OFFRANDE de son sacrifice rédempteur (cette offrande qui est le préalable de tout sacrifice) et il a institué l’EUCHARISTIE comme MEMORIAL de cette OFFRANDE. C’était en vue d’offrir à ses amis et à tous les hommes à venir, de participer au sacrifice de la REDEMPTION qu’il allait accomplir pleinement, en s’offrant, eux aussi, chaque fois, lors des eucharisties à venir, avec lui, en vue du salut de tous.
Depuis sa Résurrection et son Ascension dans la gloire, le Christ ne vit plus désormais la condition humaine habituelle, mais une condition humaine de « réssuscité », transfigurée, différente de celle de sa vie sur terre avant sa mort et désormais inaccessible à la douleur et donc à la souffrance consécutive.
Dire que le Christ demeure en agonie, avec son lot de souffrance dans sa nature humaine, jusqu’à la fin du monde, est en désaccord formel avec sa condition de "ressuscité"!
Par ailleurs, nous savons que chez le Christ, il n'y a pas confusion entre ses deux natures, humaine et divine (cf les affirmations du Concile de Chalcédoine en 451).
Puisque, dans sa nature humaine "ressuscitée, le Christ ne souffre plus, peut-on, par contre, imaginer qu'il souffre dans sa nature divine? C'est la question à laquelle on tentera de répondre plus loin!
Ceux qui pensent que le Christ glorieux continue à vivre son agonie, dans sa nature humaine invoquent souvent le chap 25 de l’évangile de Matthieu. Jésus y déclare : « ce que vous avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait ! ». Si donc nous avons infligé une souffrance à nos frères, nous avons fait souffrir le Christ. C’est tout à fait exact et nos péchés envers nos frères ont provoqué une partie de la souffrance du Christ, lors de sa passion…mais par anticipation, ce que lui a permis sa nature divine. C'est-à-dire que cette souffrance a été déjà vécue par lui, mais qu’elle ne l’est plus depuis qu’il siège dans la gloire, à la droite du Père et ce quand bien même nous continuons à faire, hélas, souffrir tous ces « petits qui sont frères du Christ » !
- DE QUELLE SOUFFRANCE S’AGIT-IL ?
Après avoir précisé de quel Dieu l’on parle, on peut, maintenant cerner la signification du mot « souffrance ».
Tout d’abord, évitons la confusion fréquente entre douleur et souffrance.
La douleur est une sensation au niveau de la structure « matérielle » de notre personne humaine. (cf le tome 1 de la série « Réponses chrétiennes à quelques questions »). La douleur est en dépendance des structures matérielles de notre personne humaine, à savoir notre corps et notre âme corporelle. Elle résulte de la mise en jeu de récepteurs corporels périphériques. Cette information est véhiculée par des voies spécifiques jusqu’aux centres supérieurs d’intégration de notre « ordinateur cérébral » et, après « traitement » par celui-ci, se manifeste ensuite par une sensation douloureuse au niveau de notre « âme corporelle ». les lieux de sa naissance et de son expression sont donc, comme on le verra plus loin, différents de ceux de la souffrance.
La douleur a-t-elle une « utilité » ? En réalisant un signal avertisseur de danger, la douleur peut aider à lutter contre une agression physique. Ainsi, la douleur ressentie en touchant un objet brûlant fait retirer la main et la préserve. Mais le côté bénéfique de cet effet peut être annihilé dans certains cas, soit que la transmission ou l’intégration de la douleur ne se fasse pas, soit que, par l’intensité des réactions qu’entraîne, la douleur survienne un effet destructeur et non plus protecteur. Toute douleur destructrice est en opposition au Plan de Dieu dont elle contrarie la réalisation. Il est donc non seulement légitime mais nécessaire de combattre cette douleur.
La souffrance est un état de malheur, vécu au niveau des structures de notre personne que sont l’esprit et l’âme spirituelle. Ce n’est donc pas une sensation comme la douleur. En disant qu’elle est de l’ordre du « malheur », on évoque, à son propos, la notion de « manque », par rapport à l’éqilibre satisfaisant qu’évoque, au contraire, le « bonheur », équilibre entre ce qui se trouve réalisé et ce pour quoi nous sommes « faits ».
Selon l’origine du « manque » en question, on parle alors de souffrance physique, psychologique, affective, spirituelle…
La souffrance ne peut donc se concevoir que dans un état d’imperfection, de «manque », qui est le cas des humains. Ce n’est pas, par contre, le cas de Celui qui est la perfection, Dieu. Certains objecteront que l’Amour lui-même peut entraîner une souffrance…s’il est « contrarié ». Mais cette souffrance ne provient pas de l’Amour lui-même dont le but est toujours le Bonheur, mais cette souffrance provient des obstacles mis à l’Amour !.
Pour les êtres imparfaits que nous sommes, le « manque » par rapport à un de nos besoins peut entraîner une souffrance de différents types:
- De type « physique », par le biais de la douleur « physique » si un besoin de notre corps est insatisfait ( tel que le besoin d’une température ni trop chaude ni trop froide, tel que le besoin d’un état d’hydratation satisfaisant, voir le besoin de contact physique…)
- De type « psycho affectif » si un besoin est insatisfait au niveau de notre âme corporelle (tel le besoin de sécurité, celui de contact affectif…)
- De type « spirituel », au niveau de notre esprit si celui-ci refuse l’offre fondamentale que Dieu lui propose, à savoir le choix de l’Amour comme source de notre Bonheur. En refusant ce choix fondamental de l’Amour (d’être aimé et d’aimer, pour parvenir au Bonheur en plénitude dans le Royaume), en prétendant trouver le Bonheur par lui-même, en dehors de l'Amour, l’homme se coupe de Dieu, comme l’ont fait Adam et Eve. Il en résulte un état de souffrance que seule la Miséricorde de Dieu peut convertir en Bonheur par la « douloureuse joie du repentir ». La souffrance de type spirituel comporte un conflit entre le rejet de l’Amour par celui qui cherche son bonheur en dehors de l’Amour ou même contre lui et la présence inéluctable de Dieu, source de ce même Amour, dans l’esprit de celui qui le refuse ! Ce peut être alors la souffrance de la damnation !
- De type « psycho spirituel », par le biais des répercussions que l’homme va ressentir au niveau de son âme spirituelle, s’il a fait un mauvais choix fondamental au niveau de son esprit, en refusant l’Amour comme moyen d’obtenir son Bonheur. En effet, ce choix entraîne un rejet de l’Amour avec entrée dans la méfiance, la haine, la rancune, qui empoisonnent littéralement notre « âme spirituelle » et sont source de souffrance
Un « être spirituel » (comme un ange, ou comme un être humain libéré de sa condition matérielle, après sa vie sur terre), ne ressent pas de douleur et ne peut donc connaître une souffrance en relation avec la partie « matérielle de sa personne » : corps et âme corporelle. C’est aussi le cas du Christ dont l’humanité, après sa résurrection, ne comporte plus aucune des « imperfections » de notre nature humaine ! Quant à une souffrance en sa nature divine, il ne peut en être question pour le Christ, qui n'a aucun "manque" à ce niveau!
La souffrance du Christ dans la nature humaine :
Dans sa nature humaine, le Christ a connu la douleur, d’origine corporelle Il a partagé cette source de souffrance avec les autres hommes, de même que ce qui venait d’une insatisfaction au niveau de son « âme corporelle ». Mais depuis la résurrection, il n’a plus été soumis à la douleur physique, laquelle ne peut plus être source, pour lui, de souffrance, non plus qu’aux insatisfactions au niveau de l’âme corporelle. Quant à la souffrance de type spirituel , il n’en est pas question pour le Christ puisqu’il a toujours été dans une obéissance parfaite au Père !
Par contre, du fait même de cette obéissance, le Christ, au cours de sa vie terrestre, a ressenti la souffrance résultant des obstacles à l’Amour provoqués par nos refus d’Amour, c'est-à-dire par notre péché.
Mais, toujours dans sa nature humaine, et comme les humains entrés dans le Royaume après avoir souscrit au Plan de Dieu durant leur vie, le Christ ne ressent plus de souffrance du fait des obstacles dressés contre l’Amour.
Y a-t-il souffrance dans la nature divine ? :
Dans leur nature divine, les trois Personnes de la Trinité sont parfaitement comblées au niveau de leur amour reçu et donné. Chacune est comblée par les deux autres. Par ailleurs, Dieu aime ses créatures appelées par lui à partager son bonheur dans la plénitude de l’amour. Son désir de les aimer est pleinement réalisé (en particulier dans le mystère du Salut. Dieu continue même à aimer ceux qui refusent son offre d’amour.
Mais, au niveau de son désir d’être aimé de ses créatures, n’y a-t-il pas un « manque » pour Dieu, du fait du refus de certains, rendu possible par l’accord de la liberté à tous les hommes ? Le Christ nous dit que Dieu désire que tous soient sauvés ! (Mt 18, 14) L’insatisfaction de ce désir devrait entraîner logiquement une souffrance pour Dieu. Mais, en fait, Christ a réalisé totalement la rédemption de tous et la réintégration de tous dans le Plan de bonheur de Dieu. C’était cela le « désir » de Dieu et ce « désir » a été pleinement satisfait par la rédemption réalisée par le Christ. Dieu n’est pas soumis au temps ! Dans la Passion du Christ, le Verbe de Vie prend dans « sa » chair humaine toutes les souffrances de l’Humanité, de chaque homme et de chaque femme, jusqu’à la fin des temps. Et par la résurrection du corps du Christ, le Verbe de Vie offre à chaque homme et à chaque femme de participer à la résurrection du Rédempteur.
LE PROBLEME DE LA LIBERTE
Or, pour la réalisation de son Plan, Dieu a, de tout temps, envisagé et réalisé la LIBERTE pour tous les hommes (et pour les anges !) d’accepter ou rejeter son offre d’Amour/ Bonheur. Cette liberté était, en effet, une condition essentielle pour une réponse d’amour de la part des créatures. L’octroi inouï de la liberté, manifestation du caractère infini de l’amour de Dieu, a la capacité, en quelque sorte, de « gommer » tous les refus d’amour des créatures qui, ainsi, ne peuvent même pas « écorner » la plénitude du bonheur de Dieu. Le bonheur de Dieu est éternel, sans début ni fin. Et Dieu, à travers la réponse parfaite d’amour parfait du Christ, réalise la liberté effective de tous les hommes. Cette liberté leur permet même d offrir leurs souffrances à travers l’incarnation et la rédemption du Christ qui comportent une souffrance momentanée. Dieu a réellement souffert dans la nature humaine du Christ Jésus lors de sa vie terrestre. Mais, depuis la résurrection du Christ, Dieu ne souffre plus. C’est nous qui, à travers nos souffrances, continuons dans notre chair « ce qui manque à la Passion du Christ » (Col 1, 24) pour que nous puissions avoir part à la Gloire de sa résurrection quand l’heure sera venue.
Dieu a réalisé toutes les conditions pour la participation de ses créatures à son propre Bonheur (« tout est accompli » affirme Jésus avant de mourir !), la balle est désormais dans le camp de ces créatures, angéliques et humaines. Soit elles acceptent de « participer » à l’œuvre de salut et réalisent par là même leur bonheur en participant à celui de Dieu, soit elles refusent et provoquent ainsi leur propre malheur contre lequel Dieu lui-même ne peut plus rien ! Mais, en retour, ce « malheur » ne peut plus rien non plus à l’encontre du « Bonheur de Dieu ». Ce Bonheur c’est en effet la concordance, en Dieu, entre l’infini de son amour et sa concrétisation parfaite en Christ et en ceux qu’il a « justifiés » !. Cette concrétisation, Dieu l’a réalisée « jusqu’au bout de son amour » (Jn 13, 1), en octroyant la liberté à ses créatures quelles que soient les conséquences.
Dans les conséquences du don, à l’homme, de la liberté, figure la passion de Jésus. Lors de celle-ci cependant, du fait de ses deux natures distinctes, le Christ vivait la souffrance dans sa nature humaine, en même temps qu’il vivait la certitude de cet Amour infini de Dieu qui est la source même du Bonheur de Dieu (et par conséquent du Christ) !
Tout se joue par conséquent sur l’incarnation et la rédemption. On comprend l’importance, dés lors, de l’offrande du Christ au Père lors de la dernière Cène, avant la réalisation du sacrifice de l’agonie et de la croix. On comprend aussi la nécessité du commandement du Christ à ses apôtres d’avoir à actualiser cette offrande « en mémoire de lui » jusqu’à la fin des temps pour que tous les hommes à venir puissent y participer en joignant l’offrande de leur propre vie à celle du Christ lors de chaque eucharistie.
La valeur infinie de cet acte d’Amour de Dieu ne peut être altérée par rien, puisqu’il est infini! Il ne peut donc y avoir, en Dieu, à ce niveau, de « manque » générateur de souffrance !
Il en sera de même pour tous les hommes quand ils seront pleinement configurés au Christ et que leur bonheur rejoindra, dans l’amour, celui de Dieu !
Août 2009 Reformulé en novembre 2015
Par Diacre Michel ANDRE - Publié dans : RELATION À DIEU du Blog Puzzlebondieu 777.over-blog.com